La semaine dernière, je suis allée passer 3 jours à Dublin toute seule. Il faut savoir que j’ai très peu exploré le monde dans ma vie, et encore moins toute seule. Voyager est une chose simple pour beaucoup, mais pour moi c’est une montagne. L’un de ces plaisirs que je ne m’autorise pas, empêchée par une trame solide de peurs et d’interdictions plus ou moins conscientes.
Pendant le vol du retour, j’ai passé de longues minutes à observer le paysage, fascinée par le réseau lumineux que formaient les constructions humaines dans la nuit. Les villes, les villages, les routes, les bateaux. L’enfant en moi y voyait un filigrane d’or vieilli d’une beauté irréelle. L’adulte coupable pensait à un lichen nitrophile recouvrant la surface terrestre chaque jour un peu plus, sa terrible beauté symptomatique de notre action.
Puis je me suis demandée : « Où sont les voitures ? Est-ce que tu les vois bouger ? » et j’ai fixé les routes à la recherche d’un mouvement. Tout semblait figé, jusqu’à ce qu’un effort supplémentaire de concentration me permette de distinguer l’avancée d’un véhicule. Lent, si lent, tellement lent qu’il semblait immobile. Par un jeu de perspective quasi-inversée, je me suis revue petite, terrifiée dans mon lit à l’idée de l’infini, de l’univers, de ce qu’il impliquait quant à la valeur de nos existences.
Il y a longtemps, je crois avoir lu que dans certains moments de grands dangers, les êtres humains percevaient soudain quelques secondes comme une éternité. Un étirement du temps qui leur permettrait quoi, déjà ? De pouvoir réagir ? De s’ajuster à leur propre mort, le fameux « voir sa vie défiler devant ses yeux » ?
Là-haut, voir cette voiture progresser comme pousse un brin d’herbe m’a procuré un inexplicable réconfort. Je ne sais pas trop pourquoi. Peut-être que je l’ai pris comme un rappel que tout ce qui paraît trop rapide peut être ralenti, même nos vies qui paraissent si petites.